04/08/ 2010

 

Espace de régie

     

Laure Carsalade

                                

Introduction - Les déambulations d’art-architecture du Néerlandais Krijn de Koning donnent à voir ce que son œil, à la manière d’un réalisateur, saisit d’un paysage. Sur l’appel de la Ville, il a ouvert les portes d’un d’accès interdit car en ruines, La Maladrerie de Beauvais dans l’Oise. Sophie Lechevalier, chargée de projet du lieu,  annonce que cette « propriété de religieux se voulait terre d’hospitalité pour des exclus aux XIIe et XIIIe siècles ». Elle accueillait les lépreux, obligés de renoncer à la vie sociale traditionnelle et d’accepter d’être déclarés morts pour le monde avant d’entrer pour achever une existence parallèle, à la fois de morts ET de vivants. Paradoxe, « au Moyen-âge, poursuit-elle, c’était la seule garantie pour ces malades d’être laissés tranquilles et même d’être bien traités ». Le site étant promis à une restructuration, dans l’attente, l’intervention de l’artiste est apparue une évidence pour Gaïdig Lemarié, chargée de Mission Arts plastique de la Ville de Beauvais. Accueil tout l’été à Beauvais (60).

Here Now, dessin Courtesy: Krijn de Koning. Maladrerie de Saint Lazare, Ville de Beauvais.

 

Entretien avec Krijn de Koning

      

Vos interventions initient un dialogue entre patrimoine et création contemporaine qui interrogent l’essence des lieux.  Quelle est l’histoire de l’installation Here and Now ?

Krijn de Koning - Un aspect très plaisant dans ce projet, que j’ai remarqué quand j’ai été invité la première fois, a été le problème de son environnement. Du dehors, on aperçoit un complexe médiéval dans une unité, l’ensemble est pris entre une zone urbaine bien dessinée et une partie dans la nature. Or une fois entré, on découvre deux visages, ce qui pose une dissonance physique et conceptuelle, et pour le public, celui d’une beauté non visible. Les bâtiments à gauche sont complètement restaurés, quand à droite les ruines sont inaccessibles. Pour des raisons de sécurité, une grille enfermait ces pièces très belles que l’on ne pouvait pas voir, ni explorer. C’était naturellement l’espace à habiter.

 

Vous avez réuni trois lieux distincts, la chapelle, le logis des religieux, l’habitation de l’administrateur.

Le cheminement vous est-il apparu simple, sans dilemme ?

KdeK - Normalement on ne peut pas entrer ici. C’est très architectural, il y a des ouvertures mais on n’a pas de vue directe. Comment faire une œuvre qui parle du site, un travail en rapport avec une réalité physique pour former un parcours et passer d’un élément à un autre ? Ici une terre d’hospitalité pour les lépreux au Moyen-âge. Here and now revient à donner une attention à ce qui est présent dans l’instant. J’ai envisagé la structure de panneaux de bois comme les membres d’un corps qui se déploient dans les jardins et s’insinuent jusque dans les intérieurs bâtis. 

 

Le couloir qui mène au logis est volontairement plongé dans la pénombre avant de déboucher sur l’antre, où nous attend un relevé archéologique en coupe. Quel est votre processus de création?

KdeK - Je procède suivant une régie, mais il n’y a pas de stratégie. Il est certain que dès le départ, il y a des points que je veux montrer. La maison abrite encore par exemple, une carte fascinante, qui a créé un système codifié de lecture archéologique de la ville avec des aiguilles de couleurs disposées à la manière d’une acupuncture du paysage. Cela donne une idée de gravité, qui unit un secteur reconstruite avec les fouilles qui coexistent en parallèle. Or, rien n’est resté de sa signification, aucune légende. C’est une énigme.  Sur le chemin de la maison, un arbre majestueux a donné corps à la structure, il est encadré et se présente selon de nouvelles perspectives.

 

De loin, cet arbre paraît pris en cage, quand du dedans, il s’élève majestueux, à la verticale. Dans un écrin peint en bleu. Comment la couleur, verte partout  ailleurs, s’est-elle imposée dans le projet?

KdeK - Pour la couleur, s’opère le même mode de décision que dans le choix général de mon travail. Elle sert à confronter les choses, montrer par contraste, créer des ouvertures. J’ai choisi de conserver les surfaces de bois brut pour tout l’extérieur, à l’image du site. La couleur est à l’intérieur, elle capte l’attention sur l’objet lui-même et intensifie la façon dont on regarde dehors. J’ai voulu ici un vert artificiel qui jure avec le vert de la nature. Le chemin au contraire conditionne, il est excitant. Il peut tout y avoir au-delà, même de la science-fiction ! La structure, c’est un outil pour mieux voir.

   

    

Here Now, Installation Krijn de Koning à la Maladrerie de Saint Lazare, Ville de Beauvais, vues du parcours. Photos: Design On Stage.DR.

     

    

04/04/2010

Design ? No ! Progetti, si.

    

Laure Carsalade

Rencontre avec Enzo Mari et Gabriele Pezzini dans une galerie d'art parisienne.

            

Photo: De gauche à droite, Gabriele Pezzini et Enzo Mari, portrait. Copyright Giovanna Silva.

      

Il est un mot que Enzo Mari le bel, l’homme de toutes les créations, a vraisemblablement rayé de son vocabulaire, DESIGN. Comment se l’expliquer quand le concepteur a lui-même obtenu une consécration internationale grâce à ce travail ? Parce que le terme, malmené sur le fil de sa récente histoire, a été dévié de sa mission noble de service du beau pour la communauté, et brandi par nombre d’expérimentations mal définies, comme argument mercantile par d’astucieux faiseurs de profit, ou de novices se sentant appartenir à une voie nouvelle ouverte à l’inconnu. Enzo Mari lui redonne en conscience ses lettres de noblesse en le passant sous silence pour le substituer par le seul mot convenable selon lui, PROGETTI (projets), telle est son œuvre. Nous avons eu la chance de le rencontrer à Paris, au mois de février, dans la Galerie Alain Gutharc, à l’occasion de l’exposition "Che fare", en compagnie d’un confrère, Gabriele Pezzini. 

    

Che Fare
Les deux hommes sont liés par une fraternelle humilité (voire paternelle), leur engagement dans une quête de l’essentiel. Aux antipodes de l’Art Pompier qui caractérise ce qu’ils rejettent, les deux hommes ont présenté des pièces dont on ne saurait situer l’année de naissance, tant elles apparaissent sobres, insoumises à la mode, et représentatives de ce que beaucoup tentent de retrouver souvent sans y parvenir. Ainsi se sont côtoyées un temps trop court, sans doute, mais savoureux, la table Frate, signée dans les années 1970, et la plus jeune assise Moving. Ces pièces de mobiliers exposées dans un cadre artistique révèlent leur nudité, car pur et transparent est le fruit d’une recherche ascétique. Quand la table révèle les matières de sa composition, réduites au minimum, achevée d’un plateau de verre, le tabouret a l’aspect d’un seau, mais plein et blanc, agrémenté d’une anse qui lui accorde sa mobilité. La fonctionnalité ici apparaît comme une évidence pour le visiteur, tout acquéreur ayant la possibilité de le projeter dans son espace intime. L’intitulé de l’exposition abrite un soupçon de provocation, Che Fare ne posant pas une question mais évoquant plutôt un manifeste. Finalement il s’agit sans doute de laisser faire le "rien", d’observer que l’abondance contrairement à ses promesses ne nourrit pas, en reconnaissant la bonne production, de percevoir la valeur du labeur et de l’artisanat qui ont la délicatesse de l'ouvrage des Anciens de l'Antiquité : savoir se faire oublier pour exister dans sa pleine essence.

Photos DR : ci-dessus Tavolo Frate - production Driade, de Enzo Mari.

Ci-dessousTabouret Moving - production MaxDesign, de Gabriele Pezzini.